mercredi 24 décembre 2014

Ah ! la santé de Mauricette !


Du « Pavillon des Folles », le 11 septembre 1989, Mauricette Beaussart écrit à son ami et poète Lucien Suel : « Les docteurs et les cuisinières me soignent. Mais c'est Lautréamont qui me parle dans ma tête. J'ai reçu la vie comme une blessure. Je crois que mes pantoufles sont trop petites. Mes pieds ont dû gonfler. Je n'ose pas les regarder. Je marche avec les yeux au plafond » (1). Mauricette, dépressive, est internée. Ses « Lettres de l'asile » envoyées à Lucien Suel seront plusieurs fois publiées : la dernière édition étant pour l'anthologie : Cadavre Grand m'a raconté - la poésie des fous et des crétins dans le Nord de la France (2).
Après une dernière lettre à Lucien, Mauricette s'enfuit de l'hôpital. On reste sans nouvelles. On resta longtemps sans nouvelles.

Lucien Suel aime les personnages singuliers - touchés par des esprits frappeurs - voix dans la tête – entre folie et normalité : le mystique (saint) Benoît Joseph Labre (puisqu'il fut canonisé) ; les peintres d'art brut et médiums, Augustin Lesage et Fleury-Joseph Crépin. Tous trois sont originaires du Nord comme lui. Il leur a rendu hommage dans différents poèmes (3).

Et puis elle est revenue. Vingt ans après. Mauricette Beaussart, soixante-quinze ans, est revenue de la maison des remords et de la douleur. Elle a fait le tri sélectif dans sa tête, enterré ses mauvais souvenirs dans le sable de Merlimont-Plage, (re)trouvé une famille (« Rien qu'une famille humaine. Nommant vivants et morts »), rallumé son ordinateur où elle complète à nouveau son anthoveaulogie sur etoilepointetoile.blogspot.fr.
Plus exactement, c'est Lucien Suel qui la fait revenir. Dans deux romans : La patience de Mauricette (4), puis Blanche étincelle (5). Ainsi, Mauricette Beaussart n'avait pas disparu et n'était pas une authentique vieille dame, mais un double, une création d'écrivain.

Lucien Suel est poète, et Mauricette n'est pas qu'un personnage inventé : elle est elle-même un poème. Une vie, une langue lui ont été données.
Masque tombé, Mauricette est Lucien qui est aussi poète et jardinier dadaïste et joueur qui traduit Kerouac mange des scaroles et de la carbonnade fait des collages des dessins idiots des performances qui pisse sur le compost qui boit de la bière plante des radis édita des revues qui manie la grelinette la guitare et l'underwood qui pose avec béret et baguette pour des photos prises par J. et orchestre une renaissance : Mauricette est Lucien est Mauricette.

C'est à l'hôpital psychiatrique que tout a commencé et que tout commence dans le roman. Lucien Suel s'immerge pendant plusieurs mois dans la vie d'un hôpital psychiatrique, parmi les malades et le personnel soignant. Écrivain en résidence, il devra en retour écrire une œuvre inspirée du lieu et de son histoire. Ainsi naît le roman, La patience de Mauricette, et le personnage inventé par Lucien Suel reprend du service.

« Dès le début de leur rencontre, [on sentait] la présence d'une énigme, une fissure cachée derrière le sourire ». Mauricette Beaussart a disparu de l’hôpital où elle était soignée pour « une psychose maniaco-dépressive, troubles du comportement, accompagnés d'hallucinations auditives et distorsions du langage » (pour ce HS sur la santé mentale, un peu de vocabulaire psychiatrique apportera du crédit à cette chronique). Ce n'était pas le première fois qu'elle était internée. Il y a des trous dans la vie de cette femme, des traumatismes non refermés. Mais elle peut compter sur ses ami-e-s, Christophe et Alfonsina qui, chacun à leur manière – ils ne reçoivent pas les mêmes confidences – l'aident. Il y a aussi les médicaments, les soignants. Il y a aussi Blanche, qui donne son titre au roman suivant, rencontre lumineuse qui délivrera la vieille dame : Mauricette aura trouvé une place, apaisée. Enfin.
Comme une enquête, nous suivons ce personnage. Dans La patience de Mauricette, le récit alterne monologue intérieure de Mauricette – d'une écriture poétique saisissante, faite de mots désordonnés, syntaxe tordue – et narration. Le passé et le présent se mêlent pour nous révéler le remords et la douleur.
Lucien Suel a écrit le portrait d'une femme attachante, pleine d'esprit et d'humour, une femme fracassée, mais qui aura trouvé dans la poésie et les livres, tout autant que dans l'amitié, la force de vivre. Blanche étincelle qui prend la forme d'un journal que tient Mauricette, se conclut ainsi : « Vivre va me prendre tout mon temps ».
Olivier Bouly, groupe Béthune de la F.A.
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Cette chronique a été publiée dans Le Monde Libertaire de juillet-août 2014, n° 56 Hors-Série intitulé "Un été de folie".
  1. Lettres de l'asile (Station Underground d'Émerveillement Littéraire, 1995)
  2. Cadavre Grand m’a raconté, La poésie des fous et des crétins dans le Nord de la France (Le Corridor Bleu, 2005)
  3. Petite Ourse de la Pauvreté (Dernier Télégramme, 2012)
  4. La patience de Mauricette (La Table Ronde, 2009 Folio Gallimard 2011)
  5. Blanche étincelle (La Table Ronde, 2012 

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posted by Lucien Suel at 08:25

5 Comments:

Anonymous Anonyme said...

On l'aime Mauricette, et ici aussi, vers Belleville... Bonnes fêtes, Lucien
PdB

15:42  
Blogger Lucien Suel said...

Merci, ami Pierrot !

17:23  
Anonymous annajouy said...

on aime mauricette oui et franchement on est heureux de ce lucien

belles fêtes

14:40  
Blogger Lucien Suel said...

Merci Anna, Mauricette se joint à moi pour vous souhaiter une bonne année. J'ai aussi corrigé le lien vers "Mots sous l'aube"

07:38  
Anonymous Estelle said...

Les maladies mentales sont un excellent sujet pour les poèmes - je les aime. Merci de consacrer un post à ce sujet intéressant.

23:06  

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