mercredi 12 mars 2014

Colonnes dénudées (2)

ÉBRANLEMENT PNEUMATIQUE

Je rentrais du Cap Gris-Nez,
le soleil déclinait dans mon
dos. Mes yeux dévoraient les
verdures du paysage mouvant.

L'étrave dure de la voiture,
insatiablement, déchirait la
vibration aérienne. J'étais.

Nue, immense et voluptueuse,
couchée sous le ciel laineux
et chaud, une femme ondulait
doucement sur des kilomètres
de collines. Sa chair nimbée
de soleil luisait suavement,
épousant la molle rondeur du
relief boulonnais : mamelons
blancs, éminences grises des
monticules du Pas-de-Calais.

Sur l'herbe verte et vivante
des prairies, cette créature
se lovait, s'allongeait, les
reins creusés, puis le torse
offert au vent. Elle vivait.

Les ballottements du fessier
laboureur tatouaient le trou
noir de ma pupille d'un clip
subliminal. Brutalement, mon
bras droit jaillit à travers
le pare-brise pour se nicher
dans l'ombre rase entre deux
rotondités géologiques. Dans
la joie rotatoire, les roues
de la Talbot rouge mâchaient
le macadam rutilant. Le sang
séchait lentement le long de
mon bras. Ma bouche ouverte,
telle un vide-pomme ambulant
et horizontal découpait dans
l'espace un long cylindre de
transparence. Au fond de mon
pharynx, venait s'écraser le
vol des criquets, moustiques
et autres insectes surpris à
contretemps par la vélocité.
 
De la main gauche, laissée à
l'intérieur, je chatouillais
le volant de plastique brun.

L'autre main vagabondait sur
les fanfreluches naturelles,
soyeuses et parfois humides,
qui couvraient le sol lascif
en cette région. Des reflets
du soleil couchant lançaient
des oeillades dans le miroir
du rétroviseur. J'avalais la
bouillie chitineuse. Sur mon
visage épanoui, ruisselaient
des larmes de joie que l'air
en mouvement rapide chassait
latéralement. Mes poumons de
cellophane psalmodiaient les
louanges de l'oxygénation. A
Lumbres,je décidai d'enfiler
l'autoroute A26, sortie près
de Lillers. Les yeux fermés,
j'écoutais battre le tambour
cardiaque. J'étais à l'aise.

Plus personne n'existait ici
avec moi, seul sur la route,
raide, sur le siège de skaï.

La vaste sylphide était sous
le châssis de la voiture, la
peau collée aux tubulures et
moi, je jaillissais à 13O km
à l'heure dans son ventre nu
et brûlant. J'étais vivant ! 

Colonnes dénudées (1994) fut mon premier recueil de poèmes en vers justifiés (ou arithmogrammmatiques)  

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posted by Lucien Suel at 07:37

2 Comments:

Anonymous Dominique Hasselmann said...

Beau poème de la route.......................................................................

08:52  
Blogger Lucien Suel said...

Merci, c'est un vrai souvenir. A l'époque du "ni radar ni alcootest".

08:15  

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