jeudi 17 octobre 2013

Reprises de positions - Tom Nisse (5/9)

La poésie ensuite est aussi travail de construction, de structure et de style. De construction linguistique d’images qui rendent la réalité diffuse du monde compacte. De structure formelle méticuleuse qui a comme objectif évident d’être le soutien esthétique du propos ; c’est ici que les contraintes peuvent faire éclore des surplus de beauté et de poignantes scintillations de sens. Intervention de style. De construction rythmique et musicale également, ça va de soi. Concernant le rythme, concédons que la métrique est depuis plus de cent ans pour le moins informelle. Ce qui ne veut cependant pas dire du tout qu’il faut la négliger. Même si de nos jours ceux qui comptent les syllabes sont aussi rares que le trèfle est mauve, la métrique est inhérente au poème, qu’on le veuille ou non. Elle est son pouls. Si elle est absente, comme ça a par le passé intentionnellement pu être le cas dans certaines expérimentations poétiques, elle doit être remplacée par une unité stylistique appropriée (procédé sonore, ellipse, répétition ou autre) avec le tact clairvoyant qui s’impose alors. Si par contre elle est négligée ou traitée avec dédain, le poème est nul et non advenu. On ira donc, avec un soin et une attention extrêmes, la trouver dans la respiration, dans les césures voulues, dans la percussion des consonnes, dans le choix des vers longs ou courts et l’alternance ou l’absence d’alternance entre ceux-ci. Dans les astuces de la mise en page aussi. Dans le souffle de l’encre et dans le souffle du souffle. Il n’est ensuite absolument pas désuet d’avoir recours aux formes de versification classiques, ni à la rime précise, au contraire, cela peut s’avérer être une cogitation stimulante autant qu’un apprentissage décisif de rigueur. Si la métrique est le pouls du poème, la musique est l’articulation de sa portée dans l’espace. Le poème préfère ne pas être boiteux, le poème préfère toujours la danse, même, ou peut-être surtout, dans ses périodes les plus sombres. Parce que, plus la musique qu’il exhale sera intense, plus il s’ancrera. Et donc opérera. La palette des possibilités de composition musicale est sans conteste des plus larges. Depuis la modernité, des procédés tels la dissonance, la cassure, l’infraction ou encore le minimalisme, et son contraire, l’avalanche, ont prouvé leur indéniable (indéniable et offensive) faculté de déploiement de nouveaux spectres conquérants légués au poème. Néanmoins, il faut de nouveau rester vigilant, ce qui il y a quelques décennies était réussite effervescente, parce que participant à la fronde, doit aujourd’hui être manié avec la précaution appropriée. La poésie exècre la redondance. Elle charrie son histoire mais ne doit jamais s’immobiliser sur un quelconque acquis de celle-ci. Pourtant, elle la charrie son histoire, les techniques classiques d’obtention de musicalité restent valables et n’ont rien perdu en vigueur. L’allitération, par exemple, et ne prenons qu'elle comme exemple, mon intention n’étant pas de faire un traité de versification, demeure particulièrement envoûtante, si elle est manipulée avec tout le raffinement que son raffinement inhérent potentiel exige. La recherche de la mélodie a pu être, à travers les âges, une des obsessions principales de certains des meilleurs poètes. Chez d’autres, tout aussi marquants, mais animés par d’autres motivations, elle n’aura été qu’un moyen. Pour ma part, je dirai que c’est le lieu de matrice du poème qui décide de telle ou telle prépondérance. Quoi qu’il en soit, le rythme et la musique siègent indiscutablement parmi les fondements premiers de la poésie. Tentation de musicalité cohérente en symbiose avec les visées sémantiques de la parole, c’est ainsi que peut frapper le poème qui se respecte. J’affirme ensuite aussi que l’écriture poétique est écriture automatique, en effet le mot suivant vient bousculer le précédent, et l’image naît ainsi automatiquement.

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posted by Lucien Suel at 07:47