mercredi 19 décembre 2012

Anne Ansquer, une nouvelle

Avek

Il reprit la parole, continua, fila droit devant lui, longeant le port.
(Il tenait, marchait ferme vers le bateau, assuré sur les bords)
Scotchée, elle dit : "eh ben,"
Un port, la mer haletante et son pourquoi d'écume, ils se mirent en passant dans les flaques,
les reflets irisants mélangés de carburant, joli de répondre au silence et au vieux chat
costaud, une tête de solitude dans un trou du quai.
Il vivait là, le chat, travaillait à la nuit, pas méchant, il l'avait fixée sans effroi sans audace sans
amour ni menace, comme on regarde un mort
-sa tanière, les câbles pleins de graisse continuaient de glisser, graisser le long du quai, à l'intérieur
le béton, les tuyaux le réchauffaient peut-être... Pas sûr qu'il défendrait sa peau. Il grisaillait, c'était
lui son temps, se nourrissait de quelques boyaux, poissons traînés là-
Avek glissa sa main dans la sienne, enjalbèrent le plat-bord, Août plombait les bateaux enchaînés.
Descendirent vers la cale, une esquisse, leurs bassins chacun.
Elle s'étala près du tas des écoutes, bouts, un rayon de soleil ou deux, chemisier d'organdi trop fin
trop fini pour la brume, rude.
-"Tu crois que t'as plus rien à vivre à cause de tes années?"
-...
Mais sa tête ne reparut pas, Avek l'enlace, son être est retenant de fermeté, chaud, à l'oreille, il lui
dit.
Que son corps est à sa portée, qu'il s'en fout de la peine, et qu'il s'en faut de peu pour qu'il l'attire à
lui, son navire, son tirant.
Elle murmure son destin, il se tint.
Sur le pont son profil droit tendait l'horizon.
(Moi non plus, je n'avais pas de mots, hormis le clapot, sourire en coin, le matelot arrivait au flanc
gauche du bateau, mon Amour propre, refit surface...)
Preste, elle sauta sur le quai, et sans d'autre façon que ses coudes, comme nous tous, comptoir ou
bureau.)
Un gouffre, ainsi appelé, n'avait pu cacher l'autre :
L'amour qu'on ne fait pas parce qu'un samedi midi s'était abattu sur le port.

"Avek". Eté 2010. "Repris", Oct.2012.
Anne Ansquer.©

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posted by Lucien Suel at 09:21