mardi 12 juillet 2011

La retraite de l'aumônier


[...]
Nous voulions profiter de la douceur de ce premier mai et boire quelques chopines à la terrasse d'un établissement public. Alors que nous allions quitter le Salon, mon ami me fit remarquer la présence du romancier et critique d’art Joris-Karl Huysmans en compagnie d'un ecclésiastique dont j'appris par la suite qu'il s'agissait de l'abbé Mugnier, mon presque homonyme. Une huitaine plus tard, j'eus le grand plaisir d'apprendre que mon Bréviaire avait été distingué par le jury. Premier salon, première médaille ! Comme un bonheur arrive rarement seul, j'obtins également une bourse de voyage pour l'Algérie... De retour au château, à Coulevon, je retrouvai mon modèle, l'abbé Dambricourt. Il avait, l'an passé, avec beaucoup de patience, et en dépit des fatigues de son âge, accepté de poser longuement, assis sur un banc grossier, au fond du jardin de la cure. Les journées étaient chaudes, et à l'inconfort du siège, devait s'ajouter le désagrément provoqué par la sueur sous cette soutane noire hermétiquement fermée jusqu'au dessous du menton. Pourtant, le vieil homme ne bougeait point. La tête tournée vers moi, l’œil mi-clos, il était perdu dans ses pensées, comme s'il regardait en lui-même. Autour de nous, le jardin bruissait d'abeilles et les boules blanches, pompons des dahlias, dessinaient au-dessus de la terre, comme un chemin de neige, contrastant avec la noirceur du drap qui couvrait l'abbé Dambricourt. Je travaillais rapidement, sans parler, jusqu'à ce que l'intensité de la lumière ait baissé au point où j’eusse été contraint de modifier ma palette. Alors, j'arrêtais la séance. Le vieux prêtre décroisait les jambes et posait son bréviaire sur le banc, puis, se redressant avec peine, il se frottait longuement le dos.
[...]

Extrait de l'ouvrage "Le bréviaire", une lecture par Lucien Suel du tableau de Jules-Alexis Muenier, "La retraite de l'aumônier", 1886, Musée municipal de Cambrai. Collection Ekphrasis, éditions Invenit.
En librairie depuis le 30 juin 2011.
également disponible sur le site de l'éditeur.
Lire l'article de Reynald Clouet dans la Voix du Nord.

Libellés :

posted by Lucien Suel at 10:59