jeudi 3 février 2011

Le lapin mystique (5)



Le lapin mystique


par Lucien Suel

5






Invisibles, à intervalles réguliers, un
pouce et un index me serraient durement
la nuque. Assis dans l'herbe lactifère,
j'étais la proie d'une amère épouvante.

Ma vision se dédoublait. Je contemplais
l'intérieur et l'extérieur, l'espace de
mon action et le moteur de celle-ci. Je
plongeais le regard dans mes entrailles
palpitantes, glissant le long de tuyaux
encombrés d'humeurs, fixant l'éclat des
soudaines liaisons axonales, dérapant à
l'ombre d'un boyau bouillonnant de gaz.

Dans le même temps, je suivais des yeux
la lente reptation d'un escargot sur la
boue qui recouvrait ma jambe droite. Le
gastéropode avait dû subir les caprices
puérils d'un adepte des marques, hideux
saducéen, qui lui avait méthodiquement,
abominablement et soigneusement écaillé
la coquille. L'amas de ses viscères nus
le suivait tout tremblotant. L'humidité
baveuse se confondait avec la croûte de
terre et de sang qui se craquelait tout
doucement sur mon genou dénudé. Du fond
de mes canaux intimes, mon oeil interne
remonta enfin. Je retrouvais une vision
simple. Mis à part l'escargot suintant,
j'étais seul dans le paysage stuporeux.

La moiteur des vertes graminées entrait
dans le fond de mon pantalon. Je sentis
une nouvelle fois la pression étrangère
de ces doigts sur ma nuque. Je réalisai
soudain que les pincements avaient leur
origine à l'intérieur de mon crâne. Une
sensation indicible estoqua mon esprit.

Le mollusque continuait son pèlerinage.

Ses cornes rétractiles se glissèrent en
tâtonnant dans l'échancrure que le vent
soulevait entre la peau de ma cuisse et
le tissu déchiré de mon pantalon. Je ne
me souvenais que de l'instant précédant
la déglutition, alors que je regardais,
fasciné, la patte de lapin glisser dans
le corsage de Laure. Ma langue recevait
la syllabe humaine. Et l'esprit explosa
dans un jaillissement torrentiel. Parmi
les éclats de souvenirs, je repérais la
main griffue de Laure qui dépiautait ma
vêture, arrachait l'étoffe, traçait des
lignes parallèles, une portée rouge sur
l'épaisseur épidermique. Je hurlais ces
neumes sanglants en galopant hors de la
chapelle, la tête embrasée, sous la nue
mouvante et sombre. Un fil de fer barbé
se tendit devant ma cheville. L'ergot y
planta son dard une seconde fois. Après
le seigle, la ferraille. J'étais rentré
dans mon propre corps. Je lisais toutes
les lignes à l'envers. L'acide rongeait
les connexions. Écumant, je m'écroulai.

Presque machinalement, frappant du plat
de la paume, ma cuisse, j'écrabouillai,
à travers le tissu, la bête infirme qui
s'aplatit avec un écoulement tiède dans
l'obscurité textile et poilue. Je levai
les yeux vers le ciel qui rosissait. Un
énorme nuage se détachait à contre-jour
dans l'aube froide. Son aspect cunicole
m'apparut instantanément comme un signe
évident de la pinçure antérieure. Laure
m'avait tatoué. Le soleil allait sécher
le jus d'escargot, la terre et le sang.

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posted by Lucien Suel at 13:17

3 Comments:

Anonymous wasteriz said...

e 11 février 2006, ajout à la page bibliographique;
le 7 avril 2006, par ajout des poèmes qui manquaient dans The Auroras of Autumn et dans The Rock, publication de la totalité d'une traduction française des Collected Poems de Wallace Stevens. Il ne m'aura somme toute fallu que 23 ans pour mener à bien cette tâche;

19:39  
Anonymous hexons said...

« Une marque de fabrique reconnue dans la construction des silots (photo) et convoyeurs. » Pas de t à silo. La construction des silos.

19:52  
Anonymous raptes said...

" La Préfecture de police vient de faire fermer plusieurs boucheries des quartiers pauvres où se débitait de la viande avariée et notamment du veau mort-né."

23:50  

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