jeudi 13 janvier 2011

Le lapin mystique (2)



Le lapin mystique



par Lucien Suel





2.
Laure logeait dans les ruines feuillues
d'une chapelle dédiée à Sainte Thérèse.
Au fronton, se déchiffrait lapidaire et
gothique, l'inscription : "La grâce est
répandue sur vos lèvres". Elle avait ce
bikini noir, mouillé contre sa peau. Je
perdis connaissance lorsque s'ouvrit sa
bouche large, chaude et caressante. Mon
coeur n'a pas trouvé depuis une langue,
une plume pour dire sa souffrance. Puis
le jour se leva, les arbres et légumes,
les pierres et graviers se chauffèrent.

Les collines s'enveloppaient de vapeurs
pourpres. Quelle douceur dans la voix !
Quelle discrétion dans l'ouïe ! C'était
aussi la modération dans la démarche du
corps animé, attentif à l'équilibre des
osselets internes, ineffablement réunis
dans le pavillon rose et poilu du lapin
immaculé. J'avalai six tasses de café à
la suite. J'étais devenu un clochard du
monde spirituel. Dans l'ambulance, j'ai
reçu une autre couverture. Le sacerdoce
était une prothèse. Le patron de Laure,
chirurgien du dimanche, m'avait réséqué
la côte. Mon sac était plein, pourtant,
je me sentais alerte. Le monde était de
nouveau devant moi. Courage ! Devenir à
terme une poussière léchée par la fille
de l'air, cela me plaisait. La couverte
roulée sur les os, je courais autour de
la chapelle à la recherche d'un signe à
interpréter. Je le trouvai sur l'autel,
parmi les chandeliers vermoulus et déjà
moisis : un clou de charpentier rouillé
et un marteau. Allongé sur le sol, main
gauche en supination, de la main droite
frappant jusqu'à ce que la tête du clou
s'incrustât légèrement dans la peau, je
suais abondamment. La soif de la mort à
venir nous rendait parfois méprisants à
l'égard de tout ce qui plaît à la verte
nature. Dehors, la pluie redoublait. Je
calquais l'arc de mes épaules sur l'âme
du plancher. Le pied de biche de Laure,
manié d'une main sûre s'insinuant entre
mon annulaire et mon majeur, chatouilla
le dos de ma main. L'arrachement fut un
miracle de mortification. Debout, j'eus
un éblouissement dont je me protégeai à
l'abri de ma main alvéolaire. Et je vis
Laure, icône digitigrade, à travers les
filtres doubles de mes larmes et de mon
membre stigmatisé. Nous étions hagards.

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posted by Lucien Suel at 07:55