jeudi 21 janvier 2010

Mauricette Beaussart - VAPEURS (1)

L’actualité littéraire a remis en lumière l’activité passée de Madame Mauricette Beaussart lorsqu’elle s’essayait à la critique dans les années 80. C’est avec son accord que nous aurons dans les semaines qui viennent, le plaisir de vous présenter les chroniques qu’elle écrivit du mois d’octobre 1987 au mois de juin 1988 dans les pages du poézine « Le Dépli Amoureux ».

Vapeurs (1)
par Mauricette Beaussart
Le Dépli amoureux n° 41, octobre 1987.

En octobre, c'était la rentrée des classes et, invariablement, la maîtresse d'école donnait, comme sujet de première rédaction, aux grandes du Certificat d'Etudes : "C'est l'automne. Décrivez la nature à cette époque de l'année." Quand j'atteignis le Cours de Fin d'Etudes, comme les filles des années précédentes, je rédigeai les clichés habituels sur les jours qui raccourcissent, le brouillard matinal, les labours fumants ou la récolte des fruits. Je n'écrivais rien sur l'ouverture de la chasse car je pensais que les chasseurs avaient l'esprit aussi boueux que leurs bottes. Par contre, je m'attardais longuement sur la cueillette des noisettes, le ramassage des noix, les promenades à la recherche des rosés dans les prairies (on n'osait pas écrire "dans les pâtures"). Maintenant, je cueille les fruits littéraires en toutes saisons. Suis-je aussi mûre que les fruits de mon enfance ? C'est ce que semblent penser Dan et Guy Ferdinande qui ont pris le risque de me confier cet espace dans le DEPLI AMOUREUX.
En cet automne de 1987, la récolte des poires ne sera pas ce qu'elle aurait dû être. Elle va me manquer cette POIRE D'ANGOISSE dont je me tartinais les neurones depuis bientôt 4 ans. Elle disparaît à son 132ème numéro sur une dernière image, ô combien symbolique ! "Autant en emporte le vent !", semble nous dire le gracieux postérieur féminin de la 4ème de couverture. En vérité le vent a déjà emporté beaucoup de ces revues que nous aimons ; mais l'esprit souffle toujours, même pendant les accalmies. Je veux ici saluer le travail de Didier Moulinier. A travers les 132 numéros de sa revue, il m'a fait découvrir tout un monde, la laideur et la beauté, la douleur et le plaisir, la poésie et l'humour, la mort et le rire. Lorsque j'appris qu’il cessait de publier sa revue, et la tristesse première évacuée, un sentiment de satisfaction me remplit en pensant au soulagement qui devait être le sien. Ce n'est pas impunément que l'on publie, à cette cadence, et dans l'esprit de liberté qui la caractérisait, une telle revue dans un environnement général de plus on plus avachissant (*). Didier Moulinier a choisi de publier LA POIRE D'ANGOISSE. Il a choisi d'en faire cesser la parution. Tout est bien.

Je ne chroniquerai donc jamais LA POIRE D'ANGOISSE, mais bien d'autres revues ont trouvé ou trouvent l'entrée de ma boîte aux lettres. J'en parlerai donc, ici ou ailleurs, maintenant ou demain. A l'heure où le tube fécal cathodique nous propose des émissions dites littéraires, dans lesquelles des politiciens parasites, des viandes sportives ou des vampires publicitaires viennent faire étalage de leur fatuité, de leur bêtise ou de leur cynisme, il est réconfortant de voir que le monde des revues reste actif, vigilant et risque-tout.
J'en veux pour preuve l'existence d'une revue comme L'INVENTION DE LA PICARDIE. Je n'en finirais pas d'aligner les adjectifs qualificatifs à son propos. Je me contente d'écrire que L'INVENTION DE LA PICARDIE est une revue admirable et essentielle. En voici le deuxième numéro dans lequel nous retrouvons le tripode primordial : Ivar Ch'Vavar, Flip-Donald Tyètdégvau et Martial Lengellé, accompagnés d'invités de choix comme Pierre Garnier et la poésie spatialiste, Gilles Laprévotte élargissant l'espace, Michel Debray qui manipule le condensateur à lames variables, - nostalgiquement, Gaston Criel en bricoleur de mots qui sait de quoi il écrit, Guy Ferdinande qui dresse le constat à l'amer puis redresse la bête de son stylo, Christophe Petchanatz aux paupières serrées saisissant des visions braisées.
L'INVENTION DE LA PICARDIE arpente le versant provincial historique et linguistique avec une étude sur Jean-Baptiste-Louis Gresset (1709-1777), "l'injolemint de Coùla é Miquèle" publié anonymement en 1634, l'origine de Gayant, le géant douaisien... Mais ce qui motive encore davantage mon admiration, ce sont les textes signés Ivar Ch'Vavar, Martial Lengellé, Flip-Donald Tyètdégvau et aussi Ghislain Biblocque et Konrad Schmitt. Ceci est de la poésie, celle qui vous fait vibrer, qui vous exalte, qui vous hallucine, qui vous fait éclater de rire ou sangloter, qui vous met mal à l'aise ou qui vous fait fourmiller la cervelle. Je ne voudrais pas trop dithyramber, mais les "Colonnes" de Martial Lengellé, en même temps qu'elles renouvellent la forme du vers, fournissent naturellement un aliment combustible pour ma carburation névrotique. Ça sent l'être humain, ça n'est pas de la purée de vocables ! La suite de textes de Konrad Schmitt intitulée "La Libidoche" est à couper le souffle. Dans sa série "A la communale", Ch'Vavar réussit le prodige d'une écriture nostalgique à la fois grinçante et émouvante. Je retiens encore le "Premier Fragment Berckois" de Flip-Donald Tyètdégvau, un texte hallucinant de malaise et de mystique argileuse qui vaut son pesant d'antibiotiques ! A quoi répond l'hilarant voyage psychédélique de Ghislain Biblocque sur la même plage de Berck. La polémique n'est pas absente avec une lettre de Roland Wulverdinghe qui s'en prend aux poètes chiants, et j'en connais aussi. Et Riquier Carrette qui règle son compte aux cuistres universitaires, charognards perchés sur la tombe du grand Verlaine. "Que votre parole soit oui, oui, non, non ; ce que l'on y ajoute vient du malin." (Matth. 5-37). Pourtant, une chose encore, lisez et relisez L'INVENTION DE LA PICARDIE.

"Oui, oui", j'ai lu bien d'autres choses. "Non, non", je n'ai pas toujours cet enthousiasme. Peut-être serait-ce épuisant ! Pourtant, avant de conclure cette première chronique, j'aimerais vous entretenir de deux parutions récentes d'un intérêt certain. "Le Michel Champendal Illustré" sous-titré "Ingrédients" est un bel ouvrage, épais, bien imprimé (à 60 exemplaires) sur un très beau papier vert (très à la mode, cette année !). Michel Champendal qui a cessé ses activités de libraire, publie ici un échantillon de ce qu'il aime et rend ainsi hommage à la chose imprimée intelligente ; cela va de Jarry aux Freak Brothers, en passant par Clovis Trouille, Glen Baxter, Gaston Chaissac et bien d'autres. C'est un encouragement à la curiosité, à l'effort en fait, mais fouiner dans les revues de presse, dans les cartons de livres poussiéreux des marchés aux puces, dans les catalogues de livres d'occasion, est-ce vraiment douloureux ?
Par exemple, feuilleter dans la collection ELECTRE le dernier ouvrage de Sylvie Nève et de Mireille Désidéri est un plaisir d'ordre supérieur. Ce livre intitulé "Erotismées" est un enchevêtrement luxu(r)-riant, une forêt vierge (!) dans laquelle les dessins [des( )seins] de Mireille Désidéri et les mots (l'émoi) de Sylvie Néve se fondent dans l'imaginaire du lecteur qui se surprend à remuer les lèvres en même temps que... les yeux. Oserais-je les appeler consoeurs ?
A suivre...
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* M. Ch'Vavar me pardonnera, je l'espère, cette irrévérence à l’encontre de ses ruminants préférés.

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posted by Lucien Suel at 15:15

1 Comments:

Anonymous C RINCÓN said...

" Les silos dans les plaines de la Beauce. Bastille, oppidums, cartouchières."

Ch. Dantzig, Encylopédie capricieuse du tout et du rien. Grasset.P.23.

23:18  

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