mercredi 27 janvier 2010

Mauricette Beaussart - VAPEURS 2

Vapeurs 2
par Mauricette Beaussart
Le Dépli amoureux n° 42, novembre 1987

Le temps est trop humide pour aller risquer de se tordre les chevilles sur les dépotoirs suburbains. Bien au chaud, attentive au souffle du vent qui aspire la fumée de mon petit Godin, je lis car la DECHARGE est là, n° 41, avec comme dans LE DEPLI AMOUREUX , un supplément intitulé POLDER (Bol d'air ?).
Dans la revue une espèce de polémique où l'on retrouve Denys-Louis Colaux, Alex Millon, Robert Varlez, Jacques Morin et même Thierry Pérémarti. Un seul mot : enfantillages ! Et je suis gentille ! Par contre deux textes à signaler : "Biographémes" de Christophe-Jean Geschwindenhammer et "Brouillon" d'Alain Malherbe. Mon côté commère me fait apprécier ces biographèmes dans lesquels C.-J. Geschwindenhammer expose avec franchise et habileté quelques éléments de sa cuisine littéraire. Ce genre de textes m'intéresse davantage que le produit fini, que la poésie à ellipses, car c'est la mise en travail qui compte. Combien de cuisinières n'ont plus faim après avoir préparé le repas !
On tourne la page et on glisse sur les épluchures d'Alain Malherbe. On jette les yeux dans le brouillon : huit fragments ; trop peu pour mon bonheur. J'en lirais des sacs pleins. Je n'avais plus rien lu d'Alain Malherbe depuis son "Bar- Tabac etc" paru en 1981 et "L'appel des étoiles" paru dans M 25. J'aimerais bien qu' il nous dise ce qu'il fait, ce qu'il "crève d'envie d'écrire", mais surtout, qu'il ne rédige pas, qu'il en reste au brouillon.
Je n'en ai pas fini avec ce n° 41 de DECHARGE puisqu'il y a un supplément, et quel supplément, un roman de Françoise Lefebvre intitulé "Le Fil". (Roman me paraît plus approprié que recueil.) Le Fil, donc. Un rat de bibliothèque pourrait penser qu'il s'agit d'un scénario pour une vie de Colette Peignot, alias Laure, morte folle sur le champ de Bataille. Mais c'est beaucoup plus que cela. Un tourbillon d'éclairs dans le cerveau délabré d'une vieille femme. La chronologie de ce récit est aussi brisée que l 'âme souffrante condamnée à vivre, à revivre l'enfance et la vieillesse, dans la folie, sous le regard obscène des autres. Et personne n'est responsable. Françoise Lefebvre a écrit un texte dont l'éclatement apparent porte une émotion réelle, une compassion sans ironie. J'ai lu ce texte l'esprit ouvert et la gorge serrée. Françoise Lefebvre, Alain Malherbe, C.-J. Geschwindenhammer, trois bonnes raisons de vous procurer le n° 41 de la revue DECHARGE.
"L'adoration de la viande" de Thierry Tillier, n'est certes pas un ouvrage polémique contre les adeptes du végétarisme. A travers les fantasmes auxquels cet auteur m'a habituée, je découvre une manière de matérialisme mystique, noir et dévastateur. Là aussi, la forme, en ces photocopies violemment contrastées, déchiquetées par des notules et des griffonnages d'excision, adhère parfaitement aux propos décousus, déchirés de Thierry Tillier. Tout ceci requiert la participation d'un corps, d'une souffrance, d'un plaisir... Ce n'est pas tout à fait le cas dans les deux nouveaux ouvrages de José Galdo : "La Nouvelle Danse des morts" et "La vierge de Nuremberg".
Cette "Nouvelle Danse des Morts", que j'aurais plutôt tendance à intituler "la nouvelle danse des mots", me semble être un exercice de sémantique simple. Le matérialisme pur de ces débris de vocabulaire assemblés par famille me paraît trop fabriqué pour me toucher vraiment, même si le flot noir coule souvent impétueusement. Ce fleuve de sang tournerait vite en eau de boudin si, de temps en temps, n'affleurait un récif, générateur de tourbillons lumineux du côté du l'encéphale. La torture infligée par le vacarme des mots est-elle plus efficace que le goutte à goutte sur le front du lecteur ? La vierge de Nuremberg est-elle armée d'aiguilles à tricoter les adjectifs et les substantifs ? Voilà ce que je me demande, affalée dans mon faux-Chippendale, lacéré de coups de griffe...
A suivre...

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jeudi 21 janvier 2010

Mauricette Beaussart - VAPEURS (1)

L’actualité littéraire a remis en lumière l’activité passée de Madame Mauricette Beaussart lorsqu’elle s’essayait à la critique dans les années 80. C’est avec son accord que nous aurons dans les semaines qui viennent, le plaisir de vous présenter les chroniques qu’elle écrivit du mois d’octobre 1987 au mois de juin 1988 dans les pages du poézine « Le Dépli Amoureux ».

Vapeurs (1)
par Mauricette Beaussart
Le Dépli amoureux n° 41, octobre 1987.

En octobre, c'était la rentrée des classes et, invariablement, la maîtresse d'école donnait, comme sujet de première rédaction, aux grandes du Certificat d'Etudes : "C'est l'automne. Décrivez la nature à cette époque de l'année." Quand j'atteignis le Cours de Fin d'Etudes, comme les filles des années précédentes, je rédigeai les clichés habituels sur les jours qui raccourcissent, le brouillard matinal, les labours fumants ou la récolte des fruits. Je n'écrivais rien sur l'ouverture de la chasse car je pensais que les chasseurs avaient l'esprit aussi boueux que leurs bottes. Par contre, je m'attardais longuement sur la cueillette des noisettes, le ramassage des noix, les promenades à la recherche des rosés dans les prairies (on n'osait pas écrire "dans les pâtures"). Maintenant, je cueille les fruits littéraires en toutes saisons. Suis-je aussi mûre que les fruits de mon enfance ? C'est ce que semblent penser Dan et Guy Ferdinande qui ont pris le risque de me confier cet espace dans le DEPLI AMOUREUX.
En cet automne de 1987, la récolte des poires ne sera pas ce qu'elle aurait dû être. Elle va me manquer cette POIRE D'ANGOISSE dont je me tartinais les neurones depuis bientôt 4 ans. Elle disparaît à son 132ème numéro sur une dernière image, ô combien symbolique ! "Autant en emporte le vent !", semble nous dire le gracieux postérieur féminin de la 4ème de couverture. En vérité le vent a déjà emporté beaucoup de ces revues que nous aimons ; mais l'esprit souffle toujours, même pendant les accalmies. Je veux ici saluer le travail de Didier Moulinier. A travers les 132 numéros de sa revue, il m'a fait découvrir tout un monde, la laideur et la beauté, la douleur et le plaisir, la poésie et l'humour, la mort et le rire. Lorsque j'appris qu’il cessait de publier sa revue, et la tristesse première évacuée, un sentiment de satisfaction me remplit en pensant au soulagement qui devait être le sien. Ce n'est pas impunément que l'on publie, à cette cadence, et dans l'esprit de liberté qui la caractérisait, une telle revue dans un environnement général de plus on plus avachissant (*). Didier Moulinier a choisi de publier LA POIRE D'ANGOISSE. Il a choisi d'en faire cesser la parution. Tout est bien.

Je ne chroniquerai donc jamais LA POIRE D'ANGOISSE, mais bien d'autres revues ont trouvé ou trouvent l'entrée de ma boîte aux lettres. J'en parlerai donc, ici ou ailleurs, maintenant ou demain. A l'heure où le tube fécal cathodique nous propose des émissions dites littéraires, dans lesquelles des politiciens parasites, des viandes sportives ou des vampires publicitaires viennent faire étalage de leur fatuité, de leur bêtise ou de leur cynisme, il est réconfortant de voir que le monde des revues reste actif, vigilant et risque-tout.
J'en veux pour preuve l'existence d'une revue comme L'INVENTION DE LA PICARDIE. Je n'en finirais pas d'aligner les adjectifs qualificatifs à son propos. Je me contente d'écrire que L'INVENTION DE LA PICARDIE est une revue admirable et essentielle. En voici le deuxième numéro dans lequel nous retrouvons le tripode primordial : Ivar Ch'Vavar, Flip-Donald Tyètdégvau et Martial Lengellé, accompagnés d'invités de choix comme Pierre Garnier et la poésie spatialiste, Gilles Laprévotte élargissant l'espace, Michel Debray qui manipule le condensateur à lames variables, - nostalgiquement, Gaston Criel en bricoleur de mots qui sait de quoi il écrit, Guy Ferdinande qui dresse le constat à l'amer puis redresse la bête de son stylo, Christophe Petchanatz aux paupières serrées saisissant des visions braisées.
L'INVENTION DE LA PICARDIE arpente le versant provincial historique et linguistique avec une étude sur Jean-Baptiste-Louis Gresset (1709-1777), "l'injolemint de Coùla é Miquèle" publié anonymement en 1634, l'origine de Gayant, le géant douaisien... Mais ce qui motive encore davantage mon admiration, ce sont les textes signés Ivar Ch'Vavar, Martial Lengellé, Flip-Donald Tyètdégvau et aussi Ghislain Biblocque et Konrad Schmitt. Ceci est de la poésie, celle qui vous fait vibrer, qui vous exalte, qui vous hallucine, qui vous fait éclater de rire ou sangloter, qui vous met mal à l'aise ou qui vous fait fourmiller la cervelle. Je ne voudrais pas trop dithyramber, mais les "Colonnes" de Martial Lengellé, en même temps qu'elles renouvellent la forme du vers, fournissent naturellement un aliment combustible pour ma carburation névrotique. Ça sent l'être humain, ça n'est pas de la purée de vocables ! La suite de textes de Konrad Schmitt intitulée "La Libidoche" est à couper le souffle. Dans sa série "A la communale", Ch'Vavar réussit le prodige d'une écriture nostalgique à la fois grinçante et émouvante. Je retiens encore le "Premier Fragment Berckois" de Flip-Donald Tyètdégvau, un texte hallucinant de malaise et de mystique argileuse qui vaut son pesant d'antibiotiques ! A quoi répond l'hilarant voyage psychédélique de Ghislain Biblocque sur la même plage de Berck. La polémique n'est pas absente avec une lettre de Roland Wulverdinghe qui s'en prend aux poètes chiants, et j'en connais aussi. Et Riquier Carrette qui règle son compte aux cuistres universitaires, charognards perchés sur la tombe du grand Verlaine. "Que votre parole soit oui, oui, non, non ; ce que l'on y ajoute vient du malin." (Matth. 5-37). Pourtant, une chose encore, lisez et relisez L'INVENTION DE LA PICARDIE.

"Oui, oui", j'ai lu bien d'autres choses. "Non, non", je n'ai pas toujours cet enthousiasme. Peut-être serait-ce épuisant ! Pourtant, avant de conclure cette première chronique, j'aimerais vous entretenir de deux parutions récentes d'un intérêt certain. "Le Michel Champendal Illustré" sous-titré "Ingrédients" est un bel ouvrage, épais, bien imprimé (à 60 exemplaires) sur un très beau papier vert (très à la mode, cette année !). Michel Champendal qui a cessé ses activités de libraire, publie ici un échantillon de ce qu'il aime et rend ainsi hommage à la chose imprimée intelligente ; cela va de Jarry aux Freak Brothers, en passant par Clovis Trouille, Glen Baxter, Gaston Chaissac et bien d'autres. C'est un encouragement à la curiosité, à l'effort en fait, mais fouiner dans les revues de presse, dans les cartons de livres poussiéreux des marchés aux puces, dans les catalogues de livres d'occasion, est-ce vraiment douloureux ?
Par exemple, feuilleter dans la collection ELECTRE le dernier ouvrage de Sylvie Nève et de Mireille Désidéri est un plaisir d'ordre supérieur. Ce livre intitulé "Erotismées" est un enchevêtrement luxu(r)-riant, une forêt vierge (!) dans laquelle les dessins [des( )seins] de Mireille Désidéri et les mots (l'émoi) de Sylvie Néve se fondent dans l'imaginaire du lecteur qui se surprend à remuer les lèvres en même temps que... les yeux. Oserais-je les appeler consoeurs ?
A suivre...
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* M. Ch'Vavar me pardonnera, je l'espère, cette irrévérence à l’encontre de ses ruminants préférés.

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posted by Lucien Suel at 15:15 1 comments

mardi 19 janvier 2010

Les yeux de Paul Préboist


Les yeux

de

Paul Préboist


Tes yeux sont si globuleux qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les verres de pinard
S'y déverser à pinter tous les soiffards
Tes yeux sont si globuleux que j'en perds la mémoire

A l'ombre des rideaux c'est le pastis troublé
Puis le patron soudain se lève et tes yeux changent
Le mastroquet taille la bavette à l'évier de vidange
Le vin n'est jamais bleu comme il l'est sur les nez

Les vents chassent en vain les miasmes de l'azur
Tes yeux plus que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le nez n'est jamais si bleu qu'à ses engelures

Mère des Sept douleurs ô chien mouillé
Sept caméras ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de bleu plus noir d'être endeuillé

Tes yeux dans le cinéma ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Benny accroché dans la crèche

Une louche suffit au mois de Mai des mots
Pour tous les bouillons et pour toutes les lavasses
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

L'enfant accaparé par les belles images
Ecarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'on ouvre une boîte de potage

Cachent-ils des éclairs dans cette vinasse où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme une morue qui meurt en mer en plein mois d'août

J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
O paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Mérou ma Golconde mes Dindes

Il advint qu'un beau soir mon verre se brisa
Sur des comptoirs que les lavettes essuyèrent
Moi je voyais briller au milieu de la bière
Les yeux de Paul Préboist Les yeux de Paul Préboist Les yeux de Paul Préboist

L. Suel

Ce poème a été publié dans le cadre du projet Pastiche 51 sur le site Tapin.

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posted by Lucien Suel at 10:29 0 comments

vendredi 15 janvier 2010

Guy Debord philosophe

Image trouvée.


Bien longtemps après, j'ajoute ceci reçu en commentaire :
Alessandro Mercuri said...
Bonjour / Hi
A propos de l'image de Guy Debord, Il s'agit d'un photomontage que j'ai réalisé pour la parution de mon livre "KAFKA-COLA, sans pitié ni sucre ajouté" (éditions Léo Scheer, 2008)
Regarding the image of Guy Debord, it is a photomontage I made for the release of my book entitled "KAFKA-COLA" (éditions Léo Scheer, 2008)
Bien cordialement / Kind Regards
Alessandro Mercuri
PS :
N'hésitez pas à créditer l'image si vous le souhaitez (Voilà qui est fait !)
Feel free to credit it, if you wish

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posted by Lucien Suel at 17:02 4 comments

jeudi 7 janvier 2010

La Poire d'angoisse

Une visite qui vaut le déplacement :

Revue de bondage linguistique et graphique
paraissant tous les lundis à midi.
Août 1984 - Juillet 1987

Mise en ligne progressive des archives par Didier Moulinier qui fut le maître d'oeuvre de cet hebdomadaire fabuleux.

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posted by Lucien Suel at 17:40 0 comments

lundi 4 janvier 2010

Un sonnet pour Bukowski et pour les visiteurs du Silo


A la tienne, poète ! (quatorze vers)

« Hé ! Monsieur Bukowski, écris-moi un poème !
– Je peux pas, je suis mort ! Demande à Chinaski !
Il est toujours vivant dans les pages de c'qui
S'publie et de c'qui s'lit ! – Hé ! page et slit, ça, j'aime !

– Oh ! Suel, tu es un vieux dégueulasse toi-même !
– C'est la folie ordinaire, Monsieur Bukowski.
– Folie de poète ordinaire, trop de whisky,
Pas assez de Moussorgsky. Attention l'œdème ! »

J'écoute souvent "poems and insults", cassette
D'une lecture live au City Lights Poets
Theater, San Francisco, en soixante-treize.

La voix de Bukowski se glisse dans ma tête,
Babil de moineau noir, et j'écris ce sonnet,
Hommage au pas grand chose, dans la langue française.

Lucien Suel
janvier 2000

J'ai écrit ce sonnet, il y a juste 10 ans, à la demande de Francis Dannemark, pour l'anthologie "Poète toi-même". Le publier ici est ma façon de célébrer l'année 2010.
Meilleurs voeux à toutes et à tous.

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posted by Lucien Suel at 17:15 0 comments