lundi 12 octobre 2009

Francis Ledwidge "Les rois morts"

Les rois morts

Tous les rois morts sont venus me visiter
En rêve à Rosnaree.
Quelques étoiles brillaient faiblement dans l’aube
Et la rosée perlait au bout des épines.

Et chaque roi mort parlait avec douceur
De la gloire passée.
Il était trop tôt pour l’alouette,
Mais les ténèbres étoilées se coloraient d’or.

Je prêtai l’oreille aux plaintes
Que trois rois d’Irlande mêlaient à leur chant.
J’entendis un coq chanter dans un clos de noisetiers,
Et là-haut, dans la pâleur de l’aube, des alouettes battaient des ailes.

Et moi aussi, je racontai aux rois une histoire
De gloire ancienne, la quatrième lamentation :
On entendait comme des boucliers en mouvement
Là-haut dans la verdure des champs et là-bas dans les labours.

L’un des rois dit : « Nous qui sommes toujours rois,
Avons entendu ces lamentations au plus profond de notre être. »
Une musique douce s’échappait de plus d’un bec d’oiseau
Et sur la colline, l’aube s’installait majestueusement.

L’un des rois dit : « Là d’où nous venons,
On n’entend plus aucun chant, ni la mélodie cristalline des branches,
Le cœur lourd, nous piétinons les ombres ;
Dans les prairies moelleuses, les oiseaux sont muets. »

L’un des rois dit : « Comme les poètes sont morts
En même temps que tout ce qu’ils aimaient,
Leurs pensées inexprimées, comme des averses de pétales,
Lancent des flammes grises et bleues sur les heures qui passent. »

L’un des rois dit : « Nous entendrons de nouveau
A Rosnaree, le lourd piétinement des hommes. »
Une bombe éclata près de moi, là où je dormais.
J’ouvris les yeux, il faisait jour en Picardie.

Francis Ledwidge
Traduit de l’anglais par Lucien Suel

Ce poème de Francis Ledwige (1887-1917) a été publié par C. E. Déquesnes dans le Supplément au n°10 de la revue Passages

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posted by Lucien Suel at 18:01