vendredi 13 avril 2007

Interview Lucien Suel (1)

Il y a tout juste 4 ans, en avril 2003, à La Tiremande, j’ai répondu aux questions de Nicolas Tardy. Cet entretien devait figurer dans un ouvrage qui pour diverses raisons n’a pas vu le jour. Voici, faite par Nicolas Tardy, la transcription intégrale (découpée en sept épisodes) de cet entretien, à quoi j’ajoute ma traduction en anglais (traduction supervisée par Ian Monk que je remercie).
Lucien Suel interviewé par Nicolas Tardy (1/7)
Tes premiers chocs artistiques ? Ça ne remonte pas à mon enfance car je n'ai pas été confronté à l'art dans mon enfance ou je m'en souviens pas. Je crois que mon premier choc artistique c'est quand j'ai entendu Elvis Presley chanter Jailhouse Rock. Après ça a été les premiers disques des Beatles et des Stones, j'avais 15 ou 16 ans. C'est ça mes premiers chocs artistiques. Avant j'ai découvert la lecture mais ça n'a jamais été des chocs, ça c'est fait graduellement. Recevoir d'un coup dans les oreilles Jailhouse Rock ou She loves you, Satisfaction, ça pour moi c'étaient des chocs !
Premier choc littéraire ? Le bouquin qui m'a vraiment choqué, ça c'est très clair dans mon souvenir, c'est Les Chants de Maldoror. Je vois encore l'endroit où j'ai lu ce livre et je me souviens qu'après l'avoir lu quasiment d'une traite, je suis sorti dans le jardin et j'ai fait le tour de la maison 2 ou 3 fois pour me remettre un peu parce que ça me paraissait vraiment... ça m'a vraiment choqué, troublé, causé une grosse émotion.
Ça t'a donné envie d'écrire ? Ça m'a pas donné envie d'écrire. C'est surtout que j'ai pris conscience qu'on pouvait avec un écrit produire ce genre de choc et j'étais un peu jaloux de ça. Ça m'a montré la force de l'écriture que je n'avais jamais ressentie avant à ce point-là. Ça produisait presque un effet physique sur moi de lire certains passages des Chants de Maldoror. Là j'étais plus âgé, j'avais 18 ou 19 ans, c'est pas précoce, c'est sûr ! Ça venait de paraître en livre de poche, avant c'était mythique, on en avait entendu parler mais c'était difficile à trouver.
Premier choc visuel ? L'aspect plus courant du choc artistique, j'en ai eu 2. D'abord le Musée Van Gogh à Amsterdam et puis l'expo Schwitters (à Beaubourg), mais c'est plus récent. Il y a des images qui m'ont troublé mais c'est des trucs de gosse, d'adolescent, des images dans Le Petit Larousse Illustré, mais c'est pas des chocs ! J'ai pu prendre conscience aussi de la puissance de l'image, de ce que l'image pouvait me faire.
Tu as reconnu plusieurs fois que la Beat Generation a été un choc pour toi. Parle-nous de cela ? La première fois que j'ai eu un contact avec la Beat Generation, j'avais 18 ans, c'était la couverture du n°1 du Magazine Littéraire. J'ai d'abord découvert les photos des protagonistes de la Beat Generation. Ça m'a fait un choc de découvrir ces types (Ginsberg, Orlovsky...) avec des cheveux sur les épaules, avec un côté vraiment glauque et les articles où ils parlaient de drogues, d'expériences. J'ai vraiment eu envie d'en savoir plus et je savais à l'avance que ça allait me faire quelque chose.
Des complices ? Non c'est pas une histoire de complicité, c'est que je savais que ce serait perturbant pour moi. Il y avait un côté - je pense surtout à Burroughs - "rapport avec le mal" et en fait je me suis rendu compte après que j'avais beaucoup exagéré les choses. On mythifie quand on se base uniquement sur des photographies, après quand on a les livres en main c'est un peu différent. Sinon après j'ai lu Sur la route de Kerouac ça a été très important aussi, c'était enthousiasmant. Je sentais ces types en opposition avec tout ce qu'on m'avait fait ingurgiter à l'école où l’on était obligé d'apprendre par cœur des trucs classiques et là, vraiment, il y avait de l'air frais : "la vraie vie". Jusqu'à ce que je me rende compte ensuite que c'était aussi des écrivains et que tout ce qu'ils produisaient c'était le résultat d'un travail important. Ça je l'ai pas compris tout de suite, je l'ai compris ensuite, quand je me suis moi-même mis à écrire. Il y avait aussi le côté "c'est l'Amérique", surtout chez Kerouac. Le passage qui me plaît le plus dans Sur la route - je l'ai pas relu depuis - c'est quand il est dans un club de jazz et qu'il décrit le solo d'un saxophoniste.
Tu viens de nous dire que Lautréamont avait été important. Ça a influencé d'entrée ton écriture par rapport à cette idée de montage ? En fait, le montage chez Lautréamont je ne l'ai pas découvert tout de suite. Moi tout ce qu'il y avait dans Les Chants de Maldoror je l'ai pris pour argent comptant. Tandis qu'avec Burroughs ce qui m'a tout de suite intéressé, c'est son côté professeur, où il démontrait ce qu'était le contrôle, ce qu'était le mot, la façon de manipuler. Tout cela m'a intéressé parce que quand j'ai découvert Burroughs, c'était pile au début des années 70, il était comme un professeur. J'ai appris beaucoup de choses en lisant Burroughs et le côté, par exemple, où il dit « Nous vivons sous le mode du collage, tout ce qu'on dit est influencé par ce qu'on voit ou ce qu'on entend », je l'ai suivi à la lettre. On prend Burroughs, on fait. J'ai pris des bandes de magnétophone, je les ai découpées. J'ai fait des expériences, enregistré ma voix. C'est là que j'ai appris à manipuler, à monter et à produire des effets en utilisant les techniques de Burroughs. Et ça pour moi y a pas de problème, ça reste toujours d'actualité. Bon, après je me suis rendu compte que d'autres avaient fait cela, les dadaïstes par exemple.
Ces montages dont tu parlais, ces montages audio, tu les diffusais ? Au début pas du tout, parce que dans les années 70 à l'époque où je faisais cela il n'y avait pas de possibilité d'accès aux médias. Donc je faisais cela pour moi ou pour les amis, on se passait nos bandes. Mais c'est vrai qu'une quinzaine d'années plus tard j'ai tout ressorti et je l'ai utilisé en radio. Après j'ai construit mes émissions de radio sur ce modèle-là.

Your first artistic thrills? It wasn't during my childhood because as far as I can remember I didn't come into contact with art as a child. I think my first real artistic shock was when I heard Elvis Presley singing Jailhouse Rock. And after that, the first records by the Beatles and the Rolling Stones, I was 15 or 16. Those were my first artistic thrills. Of course, before that, I had discovered the pleasure of reading but it wasn't so strong, it happened gradually. But getting all of a sudden in your ears the power of Jailhouse Rock, or She Loves You, or Satisfaction, that was the real thing!
First literary thrill? The book that really hit me, it's very clear in my mind, was Les Chants de Maldoror. I can still see the place where it happened and I remember I read the whole book almost non stop, I came out in the garden and ran around the house two or three times to recover my mind because it was so... It really shocked me, troubled me, it was a big emotion.
Did it give you a desire for writing? No, but it made me aware that with a written thing you can produce such a thrilling experience and I was a little jealous of this. Reading some excerpts of Les Chants de Maldoror could produce a physical effect on me. At that time I was a little older, 18 or 19, not very early, for sure! The book had appeared in paperback, it was mythical, you had heard of it but it was hard to find a copy.
First visual shock? More common in this artistic field, I had two visual shocks. First in the Van Gogh Museum in Amsterdam and more recently, The Schwitters Exhibition in Paris (Beaubourg). Some images affected me, childish memories, like pictures in my school-boy dictionary, but that wasn't a shock! I became aware of the power of image, of what an image could do to me.
You have often said that the Beat Generation was a major influence on you. Can you talk about that? I had my first contact with the Beat Generation when I was 18, it was the cover of the first issue of Le Magazine Littéraire. I first saw the pictures of the people involved in it. A real shock to discover these guys (Ginsberg, Orlovsky) with their long hair, looking almost pernicious, and these lines talking about drugs, experiences... I had a desire to know more about it and I knew in advance that it was going to change me.
Complicity? Not at all, it wasn't about complicity, but I knew it was going to disturb me. It was something like - mostly thinking about Burroughs - "dealing with evil" and later I became conscious that I had exaggerated. I think you can easily mythify things seeing only pics, but when you get the books, it's slightly different. Anyway after that I read On The Road by Kerouac, an important and enthousiastic experience. I felt these people where in opposition with all that stuff I had to swallow at school when I was obliged to learn by heart classical texts, so there it was fresh air: "real life". Until I realized they were writers too and their books were the result of hard work. I didn't pick that up at the time. I understood after a while, when I started to write myself. There was also a kind of fascination "This is America", mostly while reading Kerouac. My favourite lines in Kerouac's On The Road, I haven't read it for a while, are when he's in a jazz joint and he describes this saxophone soloist blowing...
You said Lautréamont was a major influence. Did it introduce you directly in this idea of collage writing? No, at first, I didn't notice the use of montage in Lautréamont's writings. When I read Les Chants de Maldoror, for me it was all gospel truth. Whereas for Burroughs, what interested me primarily, was his teaching side, the way he demonstrated what exactly control is, the viral side of the word, the way you are manipulated. All that interested me a lot, because when I met Burroughs's writings, it was the early seventies. I liked his way of being a teacher. I really learned a lot from him, especially when he says: "We're living in a collage way, everything we say is influenced by what we see, what we hear..." I took that literally. You hear Burroughs, you act. I cut up recorded tapes. I experimented recording my voice. I learned to manipulate, to cut and edit, to produce effects using Burrroughs's techniques. And for me, there’s no arguing, it's still up to date. Ok I know, Dadaists used some of these methods before.
These collages you're talking about, these audio edits, did you broadcast them? Oh no, not at all, when I was doing that in the 70's, there was no way to get access to the media. So I did it for me or for my friends, we swapped our tapes. But 15 years later, I dug up all this material and put it on air. And my radio programs were based on this cut-up model.

La suite : Interview 2

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posted by Lucien Suel at 07:52

3 Comments:

Blogger jnp said...

Une chose surtout : pour moi aussi Les Chants de Maldoror ont été le véritable premier choc littéraire, quelque chose de jusque là véritablement inimaginable. Je me vois aussi encore dans ma chambre avec le Livre de Poche dans les mains. Dans le domaine littéraire d'autres secousses se sont produites...

19:10  
Blogger jnp said...

Sur le plan musical ça a été le groupe Henry Cow avec Mike Westbrook et une ou deux chanteuses; je crois que c'était quelque part dans ton coin, mais je ne sais plus quand c'était!

19:18  
Blogger Lucien Suel said...

Merci Jean-Noël. Ivar Ch'Vavar a vécu la même chose avec Les Chants de Maldoror. Il m'a raconté comment il avait acheté ce Livre de Poche trouvé sur le tourniquet d'un libraire et payé avec les mains tremblantes...
Pour Mike Westbrook, tu as raison. Je l'ai vu en concert la première fois au festival Musiques de traverses à Reims vers 1980, et ensuite à Douai. Pour les chanteuses, il y avait sa femme Kate et sans doute Maggie Nichols et aussi le trompettiste Phil Minton qui chantait a cappella les poèmes de Blake.

10:05  

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