lundi 22 janvier 2007

Peter Orlovsky : lettre à Allen Ginsberg (2/6)

Nous reprenons la publication de la lettre de Peter Orlovsky à Allen Ginsberg (le début se trouve ici). Cette lettre figurait au catalogue de la Station Underground d'Emerveillement Littéraire. Le tirage initial de 211 exemplaires est aujourd'hui épuisé. Nous mettons en ligne le texte intégral .
Peter Orlovsky était le compagnon d'Allen Ginsberg depuis 1954. Cette lettre écrite sur le bateau qui le ramenait à New York après un séjour en Afrique et en Europe, (cf Les anges vagabonds de Jack Kerouac) a été publiée en 1971 aux Etats-Unis par Allen de Loach, Intrepid Press, Buffalo, N.Y. sous le titre : Dear Allen : Ship Will Land Jan 23, 58. La traduction que nous en avons faite ne respecte pas vraiment le texte original dans la mesure où Peter Orlovsky, jeune immigrant d'origine russe, employait à cette époque un anglais appproximatif constellé de fautes et coquilles diverses (traduction Lucien Suel & Henry Meyer).
Conversations ou rêves-
sommeil ou maux de têtes
bite ou couille - verre ou eau-
je vais dans la salle de bains pour m'asseoir
sur les toilettes j'ouvre la
porte mais avant que j'arrive aux
toilettes il y a une autre porte
et puis une autre porte, et je
l'ouvre et rentre mais
il y a encore une autre porte
et à chaque fois la pièce rétrécit
un peu jusqu'à ce qu'en fin de compte j'aie l'impression d'être un
nain dans cette course de portes
dans une salle de bains minuscule, qu'est-ce qui s'est passé
tout ce que je veux c'est des bonbons - pas de toilettes-
laissez-moi tranquille - voulez-vous
danser, peut-être êtes-vous
amoureux de moi - est-ce que j'en vaux la peine ?
Il n'y a personne qui m'aime----
je recommence à vomir, ce bateau balance de trop,
c'était pas comme ça sur
le bateau yougoslave qui m'emmenait
en Afrique avec Allen-
tanger, casablanca
Je m'aperçois que je commence à écrire
beaucoup - c'est la lettre la plus bizarre
que j'aie jamais écrite à Allen où à qui que ce soit-
qu'y a-t-il de bon en moi -qui veut que
je sois bon - est-ce que tu connais tous
les gens qui t'aiment en
ce monde ? combien y en a
t-il, je me souviens maintenant, ma
mère et moi on était à
Bayside on regardait une maison-
ma mère voulait la louer-
c'était une maison sensass (grande) - je
me souviens de la clé, avec la chaînette
de la porte dessus et la petite lumière
clignotante à pile
qu'elle avait - elle m'a tapé dans l'oeil
(ça me restera toujours)
J'avais envie de la toucher, je la voulais-
la maison était grande - planchers brillants,
on était pauvre et
une baraque pareille aurait
dépassé tout ce à quoi ma mère aurait pu rêver-
c'était en hiver-
ma mère n'avait emmené
que moi pour visiter
la maison - remarque que finalement
on ne l'a pas eue - question d'argent
comme dirait ma mère
Mais elle m'a emmené - comme si on était
marié - j'étais son mari-
et elle ma femme alors que je n'avais
qu'environ 10 ans à l'époque-
quel beau sourire ma mère avait quand elle voulait-
moi aussi quand j'avais 10 ans-
Je ne me souviens pas à quoi
ressemblaient les alentours de la maison
mais c'était l'automne à l'époque où les feuilles
étaient brunes et jaunes - j'avais
les cheveux bruns, ma mère
aussi - et donc on a
visité les pièces ensemble
et chaque fois qu'on trouvait
un bureau je voulais foncer
dessus pour l'ouvrir car je raffolais
du mystérieux -en fait nous les 3 frères
quand on était jeune on piquait dans les villas
de vacances au cours de longues promenades loin
de la maison le long de la baie - la baie gelée-
on traversait la baie sur la glace
on laissait le vent nous pousser jusqu'au
jour où mes frères et moi on a eu droit
au spectacle d'une mouette gris-blanc morte
toute recroquevillée sur la glace blanche écumeuse - et puis
une mince plaque de glace a cédé
accidentellement sous mon pied - la trouille maintenant
finies les promenades sur la glace - jamais
plus - par contre
on a continué à piquer dans les maisons
et on s'est jamais fait prendre
remarque on n'a jamais piqué grand chose, en
fait on n'a piqué pratiquement rien
et donc ma mère n'a jamais su
cette aventure secrète de
ses 3 gosses - on avait tous les trois
des bouilles si innocentes, les vieilles femmes nous filaient
des sucettes - tu te souviens
de ces sucettes rouges dans la
boutique ou dans les mains d'un enfant - à Bayside
Long Island près du lac Oakland
c'est tout sale et vert depuis
J'avais 10 ans à
l'époque- et j'en ai maintenant 24 sur ce bateau
où j'écris,
.../...

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posted by Lucien Suel at 08:01