mercredi 1 mars 2006

Costes Grand Père

Je voulais présenter Grand Père, le roman de Jean-Louis Costes, lu la semaine dernière, mais Philippe Billé m’a battu de vitesse en publiant dans son « Journal documentaire » une bonne critique de l’ouvrage, à sa manière inimitable, ordonnée et synthétique agrémentée d’une larme d’humour. Comme je partage son point de vue sur le roman, je vous renvoie à son blog[1]. Je renvoie aussi à l’entretien sensible et intelligent que Costes a donné à Sandrine M. sur le blog de « Contrechamp », entretien accompagné par les belles et sobres photographies de Moland Fengkov.
Bref, je n’ai plus grand chose à dire concernant Grand Père. Alors il m’est venu l’idée d’ouvrir ce carton à chaussures dans lequel depuis le début des années 80, je conserve toutes les cassettes audio à l’emballage un peu bizarroïde, celles qui ne rentrent pas dans les casiers. Et j’en ai extrait « La Millième Cassette Gratuite-», une de celles que Costes distribuait dans les rues de Paris, un peu à la façon dont avant la Première Guerre Mondiale, Arthur Cravan distribuait sa revue « Maintenant ».
J’ai réécouté cette cassette (durée 10 minutes, une seule face enregistrée) et en fin de compte, je suis retombé sur Grand Père dans les trois morceaux. Le premier s’intitule « L’enfer des Musiciens », le second « Bricolo, c’est la bataille ! » avec une histoire de singes morts importés du Tchad par avion et dans lequel on entend cette phrase : « Un ouistiti pour un kopeck ! » qui m’a à la fois ramené en Guyane sur les traces de Grand Père Bagnard et en Russie sur les traces de Grand Père Cosaque. Quand au dernier morceau, il s’achève sur ce constat post-nietzschéen : «-L’art est mort. »
L’art est mort, mais Costes est vivant. J’ai suivi, d’assez loin, je l’avoue, ses expériences perforgasmicocoprophiliques et d’un peu plus près, ses démêlés avec les gardiens de l’ordre moderne. J’ai pourtant participé avec deux de mes dessins au n° 5 de sa revue «aLa vache bigarrée », une revue pleine de poils, imprimée en couleurs baveuses à partir de stencils à alcool, quelque chose qui défiait l’esthétique et le bon goût, une revue sur laquelle les bonnes âmes du Comité National des Lettres n’auraient même pas risqué un œil crevé.[2] Costes a cette qualité d’être resté franc et indépendant. Il est impossible de l’imaginer montant un dossier de demande de subvention.
Et voilà qu’il est édité chez Fayard ! C’est qu’il a du talent et qu’à la fin des fins, après qu’il ait lui-même appris et progressé, il s’est trouvé un éditeur pour penser qu’un public plus large pouvait découvrir ses écrits à défaut de son anatomie.
J’ajouterai quand même quelques notes personnelles concernant le roman dont il est question. Quand j’en ai commencé la lecture, dans ma tête, en haut à droite a clignoté le mot mo mo Moravagine et puis à gauche lui a répondu un néon hon hon Onze mille verges. Mais ce que je lisais était plus délirant que Moravagine et moins drôle que Les onze mille verges. Et puis petit à petit, au fur et à mesure que j’avançais dans la lecture, les lumières ont clignoté de moins en moins et puis se sont éteintes, et je me suis retrouvé plongé dans L’Imitation de Grand Père par Jean-Louis Costes[3]. Je comptais les moujiks assassinés, je voyais couler le sang des anarchistes de Cronstadt, je regardais passer les wagons de Tchétchènes déportés. Je galopais avec la Makhnovtchina.
Ensuite, à Paris, cela aurait pu être La Gana[4] mais Grand Père hurlait : « Ta ma daga ! » A un autre moment, je descendais le fleuve Amour et puis d’un coup, ça se réchauffait et j’étais sur l’Orénoque entouré d’anacondas ta ma daga. Et bizarrement, c’était dans la forêt vierge que je prenais connaissance de la culpabilité évacuée en vain, du péché originel sous-jacent, qui transperçait de part en part, de peau en peau les testicules (Costes utilise le mot couilles, mais j’ai toujours eu des difficultés à employer ce genre de terme dans l’écriture), les testicules, disais-je, des ancêtres, encastrées les unes dans les autres comme des poupées... russes. Le pogrom original dont les ancêtres arméniens de Costes furent les victimes était déjà niché dans le bas-ventre de Caïn. La solidarité du mal s’étend d’âge en âge. Le pogromé devient pogromeur et ainsi de suite dans l’inversion assumée du mystère de la Rédemption. A la fin du roman, après toutes ces aventures exotiques, le vieux bagnard, abruti par la télévision et le pinard, brûle dans l’incendie de sa chambre et le narrateur à genoux dans les cendres fumantes, devant l’œil de verre, unique relique, prie avec ferveur le Grand Père qui est en lui. Amen. [5]

Post scriptum : Je n’ai pas évoqué l’écriture de Costes pleine de flamboyances et de grossièretés. Ce qui touche le plus, c’est la poésie rythmée qui en émane avec de nombreux passages qui sonnent...

[1] Voilà une des possibilités intéressantes de notre support virtuel.
[2] De toutes façons, à cette époque, l’Etat n’était pas encore devenu le mécène de la poésie.
[3] Le titre auquel vous avez échappé : Le Papi d’Arménie, roman «acostique ».
[4] La Gana, roman de Jean Douassot (Fred Deux) publié par Maurice Nadeau.
[5] Désolé d’avoir dévoilé la fin !

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posted by Lucien Suel at 07:49

4 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Ah la Gana... j'aimerais réécouter Bidon 5 de JLC.

09:49  
Anonymous Anonyme said...

Comme c'est drôle, hier soir je faisais découvrir quelques disques de Costes à un collègue. NTMFN, notamment, il était horrifié, avec raison. Son truc à lui, c'est plutôt la variété des années 80, voyez un gars de 25 ans, bien de son époque. Au final, on a bien rigolé. Je me suis réveillé à 6 heures du matin, tout habillé, la lumière allumée, un verre d'Ename triple, plein, à mes côtés sur la table basse. Là, j'avoue, j'ai commis mon seul faux-pas de la journée... J'ai vidé la bière dans l'évier. Enfin, tout cela me parait très excitant. Je suis très curieux de lire la prose de ce provocateur priapique.

21:40  
Blogger Lucien Suel said...

Vider un verre d'Ename Tripel dans l'évier, mais c'est du dandysme !

08:36  
Anonymous Anonyme said...

Le site non-officiel du sieur Jean Louis est ici : www.jeanlouiscostes.com

13:23  

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